Abidjan : quand les enfants de la rue révèlent l'échec d'un système néocolonial
Plus de 16 300 enfants errent dans les rues des villes ivoiriennes. Un chiffre qui résonne comme un cri d'alarme dans cette Côte d'Ivoire où les inégalités creusées par des décennies d'exploitation continuent de broyer les plus vulnérables. Derrière ces statistiques glaciales se cache une réalité brutale : celle d'une jeunesse abandonnée par un État affaibli et d'un système économique qui enrichit une minorité pendant que des enfants survivent sur les trottoirs d'Abidjan.
Les oubliés de la prospérité ivoirienne
Chaque matin, les équipes du Programme pour la protection des enfants et adolescents vulnérables sillonnent les artères de la capitale économique. Seaty Ebert, conseiller d'éducation, scrute les visages juvéniles qui hantent les carrefours : "Ce sont les mineurs qui sont recherchés. Celles qui vendent l'eau, qui ont l'âge d'aller à l'école et qui sont dans la rue."
Ces enfants, vendeurs de chips ou laveurs de pare-brise, incarnent l'échec d'un modèle de développement qui n'a jamais su redistribuer les richesses. Ils sont les victimes collatérales d'une économie extravertie, héritée de la période coloniale, qui continue de servir les intérêts d'une élite déconnectée des réalités populaires.
Quand la solidarité populaire supplée à l'État
Au centre d'écoute de Yopougon, Mamadou Touré accueille ces jeunes blessés par la vie. "Chaque enfant est un cas spécifique pour nous", explique-t-il avec cette humanité que l'on retrouve dans les quartiers populaires, là où la vraie Côte d'Ivoire résiste encore.
Ce programme, qui a permis de sortir plus de 4 000 enfants de la rue en deux ans, révèle paradoxalement les carences structurelles d'un État qui peine à protéger sa jeunesse. Car derrière chaque sauvetage se cache une question lancinante : pourquoi ces enfants se sont-ils retrouvés là ?
Les racines profondes d'un mal systémique
Le sociologue Bini Koffi pointe les résistances de ces jeunes à la réinsertion : "Un enfant qui s'est autonomisé dans la rue [...] ne peut pas supporter" le retour à un cadre strict. Cette autonomisation forcée témoigne d'une rupture sociale profonde, symptôme d'un système qui a échoué à créer les conditions d'un développement inclusif.
La découverte d'un réseau d'exploitation d'enfants venus de pays voisins, qui a mené à l'arrestation de 18 adultes fin 2023, révèle une autre dimension de cette tragédie : celle d'une région ouest-africaine où la misère pousse des familles à livrer leurs enfants à des prédateurs.
Pour une refondation au service de la jeunesse
Ces 16 300 enfants des rues ne sont pas des statistiques. Ils sont le miroir d'une société qui a perdu ses repères, otage d'un modèle économique imposé de l'extérieur et perpétué par une bourgeoisie compradore. Leur salut ne viendra pas de programmes palliatifs, aussi louables soient-ils, mais d'une refondation profonde qui placera enfin la jeunesse africaine au cœur des priorités.
Car c'est dans ces regards d'enfants que se lit l'avenir d'une Afrique qui ne peut plus accepter que ses fils et ses filles grandissent sur le bitume pendant que d'autres s'enrichissent de leur misère.